La question du pardon
dans la relation à l’autre
S’engager, c’est se donner. Mais pour tenir dans la durée, le don nécessite le pardon ! Envers les personnes aidées aussi bien qu’avec ses coéquipiers. Et si chaque Vincentien mettait à profit la parenthèse estivale pour réfléchir à la manière dont il prend – ou pas – soin des autres au sein de la SSVP ?

Alors qu’elle poussait la porte de la chambre de Rose, septuagénaire d’un EHPAD qu’elle visitait régulièrement au nom de la paroisse, Aude s’est fait envoyer sur les roses : « Vous en voulez à mon argent, c’est ça ? » Abasourdie, elle a regagné ses pénates le cœur amer : tout ce temps donné pour en arriver là ?! Quel bénévole ne s’est pas trouvé un jour dans semblable situation ? Comment ne pas en tenir rigueur à l’autre, ne pas se décourager ? > À Angers (Maine-et-Loire) dans les années 1980, il manquait par exemple des possibilités d’accueil des familles des patients hospitalisés qui, parfois, venaient de loin et s’épuisaient lors d’allers-retours incessants. Cela n’avait pas échappé à l’attention des Filles de la Charité. Elles possédaient une maison, mais qui était très délabrée. Grâce à un legs et à deux subventions du Conseil général, la SSVP a pu l’acheter et la rénover. Désormais, on y trouve le Logis Ozanam avec ses 15 chambres pour une à deux personnes, 23 lits au total et tout le confort nécessaire, à seulement dix minutes à pied du CHU.
BIENFAISANTES LIMITES
« D’abord, en prenant du recul recommande Magali, 62 ans, ex-Présidente de la Conférence de Limoges (Haute-Vienne). Que sait-on des galères traversées par ces personnes ? » Vincentienne chevronnée, elle sait de quoi elle parle : « Les premières années, je distribuais des colis alimentaires. J’en étais frustrée, car j’aspirais d’abord à tisser des liens d’amitié avec des personnes seules. Quand j’ai bifurqué sur les visites à domicile, j’ai d’abord été enchantée. Sauf que j’étais si désireuse de bien faire que je me suis investie à 200 %, prenant sur moi les fardeaux des autres.
Directeur général de l’association Aux Captifs, la libération, Thierry des Lauriers renchérit : « Pas question de se substituer aux travailleurs sociaux. Mais si la personne est décidée à s’engager dans un parcours de réinsertion, nous l’orientons vers ceux dont c’est le métier. »
ALLER PLUS LOIN
• Comment pardonner, p. Jean Monbourquette, Bayard, 2020
• Ton pardon sera ta guérison, p. François Zannini, DMM, 2020
• Charité à mains nues, Thierry des Lauriers, Artège, 2023
Une amitié fidèle est le plus beau cadeau que l’on puisse faire aux personnes en détresse.
SE METTRE À L’ÉCOUTE
Alors que le paternalisme et la charité ont du plomb dans l’aile
(cf. notre dossier « Les pauvres sont nos maîtres », Ozanam Magazine n° 236), nombre d’associations dédiées aux plus démunis valorisent avant tout l’écoute : les Petits Frères des Pauvres sont très pointus dans les formations proposées à leurs bénévoles (Confronter son idéal à la réalité, Apprivoiser le silence, Accompagner sans s’épuiser…) ; la Croix-Rouge a mis en place des modules sur l’écoute, que tout maraudeur se doit de suivre ;
la congrégation Armée du Salut (branche cultuelle du mouvement) envisage également des formations à l’écoute pour l’ensemble de ses membres – jusque-là seuls les salariés et pasteur(e)s en charge d’une équipe en bénéficiaient. « Les personnes en marge de la société ont avant tout besoin d’une écoute en profondeur, insiste Thierry des Lauriers. C’est ça qui les fait grandir et leur donne envie de se lever. » Cette écoute implique un réel investissement du bénévole, car c’est dans la durée qu’elle porte du fruit. Ainsi Magali rapporte-t-elle qu’il a fallu sept ans avant qu’elle entre en relation avec une bénéficiaire de colis alimentaires : « Il faut simplement être là, préconise-t-elle. Avec patience et humilité. Alors le pardon coule de source. Il n’y a pas un aidant et un aidé, mais deux pauvretés qui se rencontrent. » D’où l’importance à ses yeux de la prière dite de l’Escalier, chère aux Vincentiens. Ces deux piliers – écoute véritable et consentement à la volonté du Père – étant de surcroît un garde-fou contre toute tentative d’appropriation des personnes aidées.
Au Sappel – communauté catholique fondée dans la mouvance d’ATD Quart Monde – des familles s’engagent auprès de personnes en grande précarité : « Elles sont si abîmées par la vie que nous sommes souvent mis en échec, admet Marie-Noëlle, fondatrice de l’antenne de Chambéry (Savoie). Leurs difficultés nous renvoient à nos propres fragilités. L’important est de tenir pour bâtir une fraternité entre nous. Contentons-nous d’être avec, le reste ne nous appartient pas. » Quid du pardon ? « Il est vital dans ce que nous sommes appelés à vivre. Nous verbalisons ce qui pose problème, sans omettre de valoriser le positif. » Une attitude rendue possible grâce à des temps d’échange et de prière en équipe, un accompagnement spirituel et psychologique, un travail fait pour permettre à ces personnes de « mettre des mots sur leurs émotions », une attention à tout ce qui se vit de beau. « Nous sommes invités à consigner par écrit tout ce qui dans notre cheminement appelle à l’action de grâce », explique Marie-Noëlle.
CONNAIS-TOI TOI-MÊME
On l’aura compris : aller à la rencontre des plus pauvres nécessite une disposition du cœur au rebours de nos préjugés ou habitudes. Disposition qui rend le pardon plus aisé. Il l’est aussi si l’on adopte de bons réflexes dans nos relations quotidiennes aux autres. Les Vincentiens de la Cellule Vigilance-Bientraitance (voir p.17) ont été témoins de vives tensions au sein de quelques équipes, tensions remontant parfois à des années. Or, le père Pascal Ide (lire p.16) est formel : nous avons trop tendance à projeter sur les autres ce qui ne leur appartient pas. Notre colère parle de nous : quelle blessure ou besoin insatisfait révèle-t-elle ? Répondre à cette question implique de bien se connaître, de faire d’abord la paix avec soi-même. Un père spirituel, un psychologue, un coach, des méthodes type ennéagramme ou ateliers d’estime de soi… peuvent y aider. Voire une session de guérison pour ceux qui traînent depuis l’enfance de lourds fardeaux (Retraites Agapè, Cycles Siloé de la Communauté du Chemin Neuf, Parcours « Grandir en dix étapes »…)
Certains outils de développement relationnel ont aussi fait leurs preuves. Pourquoi ne pas les expérimenter en Conférence pour soigner la vie fraternelle ? Le père Ide recommande la Communication Non Violente. Les Petits Frères des Pauvres ont vu les bienfaits sur le terrain de leurs formations « Favoriser l’expression, l’entraide et la coopération au sein de l’équipe » et « Prévention et traitement des situations conflictuelles au sein des équipes ». Et si la Société de Saint-Vincent-de-Paul en faisait autant pour que les brouilles se diluent dans la joie d’être ensemble ?

© SSVP

« Persévérons sans escompter
de résultats tangibles »
Les états d’âme des bénévoles accompagnant des personnes en grande précarité, ça le connaît ! Directeur Général d’Aux Captifs, la libération, Thierry des Lauriers les engage à tenir bon dans la fidélité et l’humilité.
Une formule résume les Captifs : « La rue les mains nues ».
C’est-à-dire ?
Nos 350 bénévoles à Paris et dans cinq autres villes vont à la rencontre des personnes de la rue (sans-abri, prostitués) sans rien leur apporter d’autre que leur présence et leur écoute. Pas même un café. Ce n’est que dans un second temps qu’on peut leur proposer un accompagnement – à condition qu’elles mobilisent leur volonté pour venir à l’antenne. Ce temps passé avec elles est une manière de leur manifester la tendresse du Père.
L’association est-elle confessionnelle ?
Elle est rattachée au diocèse de Paris et collabore étroitement avec des paroisses. À quel titre interdirions-nous aux pauvres d’avoir accès à cette part fondamentale de leur être qu’est la vie spirituelle – au sens large du terme, qui inclut le culturel (ateliers artistiques, etc.) ? Les Captifs sont à la croisée du social et de l’Évangélisation. Nous voulons édifier l’Église avec les gens de la rue.
on sait combien la rue abîme…
C’est pourquoi nous invitons nos bénévoles à accepter leur impuissance. Nous ne sommes pas des sauveurs. Vouloir réinsérer dans la société des personnes qui ont rejeté le système suppose que l’on accepte d’avancer à petits pas, sans projet sur elles. Sinon on s’expose au découragement. Ou à l’appropriation de la personne accompagnée.
Comment réagissez-vous
dans ces cas-là ?
Qui n’a pas ses limites ? Entendons-les ! L’équipe peut être amenée à rappeler les règles (ne pas communiquer son numéro personnel, ne pas donner d’argent) ou à prendre le relais d’un bénévole en saturation (parce que découragé, victime de propos ou gestes agressifs…). La fidélité est chez nous une règle d’or – un engagement hebdomadaire sur deux ans – mais c’est la communauté – l’association et la paroisse – qui doit cette fidélité, pas un individu isolé.
Le pardon est-il mis
en pratique aux Captifs ?
Avec les gens de la rue, un dépouillement s’impose. Si l’on y parvient et que l’on remet tout dans la prière, les cœurs se pacifient.
SUITE DU DOSSIER "La question du pardon dans la relation à l’autre"
Père Pascal Ide : « Guérir de ses blessures facilite le pardon »
Le CV du père Pascal Ide donne le tournis : à la fois docteur en médecine, en philosophie et en théologie, ce prêtre du diocèse de Paris rattaché à la Communauté de l’Emmanuel, a publié pas moins de 30 ouvrages. Il nous offre ici une éclairante synthèse de celui sur le pardon.
Communication non violente (CNV)4 étapes-clés
Et si vous profitiez de l’été pour vous initier à la communication non violente ? Elle se décline en quatre temps :